Septembre 2016. Forum des associations de Valence. Un homme, la soixantaine, passe, accompagné de sa femme.
Lui : « Ah sinon tu peux faire ça : de l’Aïkido ! » (s’adressant à moi) : « avec tous ces événements, elle a peur »
Elle : (un regard gêné) « mmh… oui »
Lui : « par contre avec l’Aïkido tu en as pour toute la vie… Alors qu’à côté en quatre semaines tu sais te défendre… »
J’acquiesce en souriant benoîtement.
[« À côté » ils enseignent une méthode de self-defense…]
Cette petite scénette m’a laissé dans un état mêlant stupéfaction, énervement, amusement…mais a eu le mérite de me faire réfléchir un peu.
Invincible en 4 semaines ?
Il me semble inutile de débattre sur la possibilité d’être efficace en combat de rue en 4 semaines… Il est vrai que cela est tentant d’y croire, mais bien peu de disciplines (sportives ou artistiques) offrant des résultats probant et durables en si peu de temps, le combat ne fait pas exception. D’autant plus qu’il s’agit d’un univers d’incertitudes. S’il s’agit de s’entraîner si peu, autant ne rien faire… On sera alors certainement plus efficace, car non-pollué par une quelconque forme en cours d’intégration.
Il est malheureux de voir que le grand public associe le fait de « savoir se défendre » à un savoir livresque que l’on peut apprendre en peu de temps.
Viser un but
Toutefois, cela soulève la question de la quantité de travail nécessaire avant d’arriver à un résultat – quel qu’il soit (efficacité martiale, souplesse, présence à l’instant… ).
L’Aïkido étant un système ouvert, il permet à ses pratiquants de viser différents buts. Cette liberté est excellente, mais elle pousse à rendre les objectifs flous. De fait, avoir un objectif flou est un bon moyen de ne jamais en atteindre aucun. Ainsi le chemin devient infini puisque sans finalité. Une pirouette intellectuelle nous permet de renommer cela en « voie ». Et ainsi, on en vient à dire : « avec l’Aïkido tu en as pour toute la vie ».
Si l’Aïkido est un outil, il doit servir un ou plusieurs buts. On peut même supposer que si l’Aïkido est un fantastique outil il doit permettre d’atteindre ses objectifs rapidement.
Il s’agit donc, avant toute chose, de définir le plus clairement possible les objectifs visés et d’y joindre une date limite. Si aux abords de la date fixée les résultats ne sont pas atteints malgré des efforts importants, cela signifie que les moyens mis en œuvre sont insuffisants.
Il me semble que c’est souvent ce qui se produit en Aïkido. Comme les objectifs sont variables d’une personne à l’autre, les moyens employés sont très approximatifs. Et donc les résultats aussi.
Obtenir des résultats dès le début
Même s’il est évident qu’il nous faudra suer plus que 4 semaines, je pense qu’il faut sortir de l’illusion selon laquelle la pratique martiale doit durer des décennies avant de porter ses fruits. Si les principes sont clairement exprimés (verbalement et corporellement) la progression peut être rapide. Il est vraisemblable de penser que cela a été le cas par le passé. Certes, les adeptes d’il y a deux siècles s’entraînaient certainement plus durement que nous, mais il n’attendaient pas d’avoir 70 ans pour être bons…
Cela n’empêche, bien entendu, pas de continuer à utiliser l’outil Aïkido toute la vie, mais en faisant évoluer ses objectifs une fois qu’ils ont été atteints !
Bonjour Germain. Ton article me fait réagir. Tu écris : \ »Il s'agit donc, avant toute chose, de définir le plus clairement possible les objectifs visés et d'y joindre une date limite.\ ». Dans le cas que tu cites l'objectif est clairement défini : savoir se défendre dans le délai le plus court possible. Le délai est fixé ici : 4 semaines car il correspond à une promesse faite par le stand d'à côté. Tu écris également \ »Cette petite scénette a eu le mérite de me faire réfléchir un peu. cela soulève la question de la quantité de travail nécessaire avant d'arriver à un résultat\ ». Mais face à ce qu'on peut considérer comme une évidente publicité mensongère lorsqu'on a un minimum d'expérience de la pratique martiale, doit-on réagir en essayant de trouver un moyen de satisfaire cette attente d'efficacité plus rapide en essayant d'adapter l'offre Aïkido à cette chimère ou peut-on continuer à pratiquer l'Aikido traditionnel de O Senseï sans chercher à y calquer une approche psychopédagogique occidentale ? En clair, doit-on adapter l'offre à la demande ? Pascal Douchet
Bonjour Pascal,Merci pour ton commentaire. Volontairement je n'étais pas entré dans de tels détails pour ne pas alourdir mon propos, je vais donc tenter de clarifier certains points.1-Il est vrai que le stand de self-defense d'à côté semble fixer un objectif et une date. Mais si l'on regarde en détail, il n'y a rien de tel. L'objectif est de savoir « se défendre », mais il n'est pas spécifié s'il s'agit de la rue, du ring ou du champ de bataille. Ni si l'on parle d'un « jeune de banlieue de 16 ans » ou d'une horde de paramilitaires aguerris. Donc savoir se défendre ne signifie pas grand chose tant qu'on n'a pas détaillé le contexte et le niveau des opposants.D'autre part la durée « 4 semaines » n'évoque pas la quantité de travail au sein de ces 4 semaines : s'agit-il de 2x2h par semaine ou 35h ?Peut-être aurais-je dû détailler ces éléments, mais mon objectif était simplement de mener à la réflexion. Il me semble qu'il a été atteint.2-En ce qui concerne ta question : « doit-on réagir en essayant de trouver un moyen de satisfaire cette attente d'efficacité plus rapide en essayant d'adapter l'offre Aïkido à cette chimère ou peut-on continuer à pratiquer l'Aikido traditionnel de O Senseï sans chercher à y calquer une approche psychopédagogique occidentale ? En clair, doit-on adapter l'offre à la demande ? ».Il y a deux raisons pour lesquelles l'offre et la demande ne se rencontrent pas : l'offre est inadéquate ou la demande impossible à satisfaire. Si l'on peut, lentement, faire évoluer la demande, le premier pas est de faire évoluer l'offre. Il s'agit de se changer soi avant de changer les autres en somme. Si l'Aïkido veut survivre , il devra nécessairement s'adapter à son environnement, comme il l'a fait jusqu'à présent. On peut même considérer que la « pression concurrentielle » de disciplines telles que le MMA ou le kravmaga est une chance qui devrait nous pousser à clarifier notre pratique et nos buts. Lorsque les pionniers japonais de l'Aïkido sont arrivés en France ils ont adapté l'art pour le diffuser. Ont-ils eu tort ou l'on-t-il trahit pour autant ? Je comprends parfaitement le désir de conserver « l'Aikido traditionnel de O Senseï », pour peu que quelqu'un puisse un jour définir ce que cela recouvre. Mais je ne suis pas certain qu'O senseï aurait renié une évolution. Il l'a lui même pratiqué en son temps, et de manière bien plus révolutionnaire que nous pourrions le faire : quitter un koryu pour créer son art !Je pense donc que si l'on peut modifier la forme et la pédagogie, déjà maintes fois altérées sans que nous le sachions, il nous faut conserver l'esprit (cela reste à définir bien entendu et fera l'objet d'un autre article).Donc oui, il faut que l'Aïkido évolue. A la fois en s'adaptant au public : un grand nombre de formes ne fonctionnent pas martialement, il faut corriger cela ; et à la fois en précisant et en définissant ses objectifs : martiaux, spirituels, que sais-je… Et je ne pense pas que le \ »flou\ » dans lequel baigne actuellement l'Aïkido ne soit qu'occidental, ni l'apanage de l'Aïkido…Ai-je répondu ?Germain