Michel Tournerie, la précision du Yi Quan

Par Germain Chamot

Le Yi Quan, ou boxe de l’intention, est une discipline qui, bien qu’implantée depuis plusieurs décennies dans l’hexagone, y reste encore discrète. Dans le riche entretien qui suit, Michel Tournerie nous livre sans détours des détails précis sur les méthodes d’entraînement de cet art interne.

Comment as-tu débuté la pratique martiale ?

J’ai commencé à 6 ans par le Judo, qui est très vite devenu du Ju-jitsu, puis du Wa-jutsu. J’ai pratiqué jusqu’à mes 17 ans. Puis à 19 ans j’ai débuté le Taï Ji Quan (Chen) et le Kung Fu Dinh Binh avec Maître Tran Thanh, qui m’a également initié au Yi Quan.

Comment l’as-tu rencontré ?

Quand j’étais en classes préparatoires, des amis voulaient faire du Taï Ji. Je trouvais ça un peu mou, mais j’ai accepté de les accompagner si l’on pouvait pratiquer du Kung Fu en parallèle. Cela a été un peu difficile de trouver le maître car comme son dojo était chez lui, il n’était pas dans les pages jaunes du botin, mais dans les pages blanches ! À l’époque il n’y avait pas d’internet…

Comment était Maître Tran ?

C’était quelqu’un de très dur quand je l’ai rencontré. Son passé au Vietnam et dans la rue avaient fait de lui un combattant. C’était un sacré personnage, un de ces maîtres qui ont une “aura”. Il était toujours en quête de techniques et de méthodes d’entraînement pour améliorer son efficacité en combat. Les séances étaient intenses. En étudiant chez lui, je suis passé d’un univers martial tourné vers le développement personnel à un monde centré sur le combat libre. Le choc fût rude au début ! 

Comment étaient ces entraînements ?

Durs ! Il testait constamment nos limites. Parfois le cours était un long échauffement avec des exercices fous. Par exemple, on faisait des tours de salle avec un partenaire sur les épaules… Si nous étions trop fatigués, il arrêtait le cours et rentrait chez lui… Il était très direct et disait ce qu’il pensait sans filtre.

Il n’enseigne plus ?

Il a arrêté l’enseignement martial considérant que se battre ne sert à rien. Je pense qu’il en a eu assez de l’enseignement à un moment. Et il est passé à autre chose. Il a toujours eu une sorte de “don” pour soigner qu’il a développé grâce à la pratique martiale. C’est ce qu’il fait aujourd’hui : magnétisme, acupuncture manuelle, mais il va surtout t’apprendre à te soigner toi-même. Beaucoup de gens souffrent, mais peu se prennent en main. Et si tu veux aller mieux la première personne qui peut faire quelque chose pour toi, et bien c’est toi ! 

Maître Tran

C’est Maître Tran qui t’a initié au Yi Quan ?

Oui. Dans sa recherche de puissance, Maître Tran a d’abord pratiqué le Taï Ji Quan, puis au fil de ses voyages pour aller suivre l’enseignement de Maître Feng Zhi Qiang en Chine, il a fait des rencontres et s’est tourné vers le Yi Quan. Il a appris auprès de Wang Xuan Jie en même temps que Shigeru Uemura, Ming Chan et Kenji Tokitsu qui est devenu son ami.

As-tu étudié le Yi Quan avec d’autres personnes ?

À l’occasion de ma dernière année d’étude à Paris en 1997, je suis allé m’entraîner chez Illias Calimintzos, dans son club du forum des Halles. Cela m’a permis de faire de la compétition et de me tester.

Comment se passent les compétitions en Yi Quan ?

Il y a les mains collantes (tui shou) qui se différencient de la version Tai Ji par le fait qu’on se déplace (en Tai Ji le Tui Shou se pratique essentiellement à “pas fixes”). Il faut déstabiliser l’adversaire et si possible le sortir de l’aire de combat. Ensuite à l’époque, il y avait aussi une forme de combat assez «libre». Nous étions équipés de mitaine, de coquilles et de protège-dents uniquement. C’était un travail de pieds-poings avec du sol (clés, étranglement et immobilisation). Le KO était autorisé. Du MMA avant l’heure en quelque sorte.  

Michel Tournerie en compétition de Yi Chuan (1997)

Puis tu as rencontré Maître Cui Rui Bin (prononcer « Tsui Rui Bine »). Comment cela s’est-il passé ?

Grâce à Illias Calimintzos avec qui je suis allé en Chine en 2000. Ça a été une grosse claque ! C’est là-bas que j’ai vraiment découvert l’essence du Yi Quan. À mon premier voyage, je ne parlais quasiment pas la langue. Les occidentaux étaient un peu isolés et même si en France je m’entraînais dur, ça n’avait rien avoir avec ce que j’avais connu. Au bout d’une semaine, j’ai eu la tentation de laisser tomber. Car même si tu es relâché, la quantité de travail quotidien a très vite raison de toi : deux fois 1h10 de posture chaque jour !

Comment est Maître Cui Rui Bin ?

C’est quelqu’un de très humain et bienveillant. Mais tu vois aussi dans son regard qu’il ne plaisante pas. Le Yi quan est un mode de vie, une philosophie pour lui.

Il n’est pas du tout dans le culte du secret. Si tu lui demandes, il va t’expliquer afin que tu comprennes au mieux. La seule limite dans ses réponses est ton niveau de pratique. Il évite de donner trop d’informations à l’élève tant que son corps n’est pas capable de les intégrer afin de ne pas le perdre. Le Yi quan est une pratique où il faut prendre son temps et ne pas brûler les étapes.

Maître Cui Rui Bin

Comment décrirais-tu les sensations au contact de Maître Cui ?

En Tui Shou, il alterne légèreté et douceur avec une pesanteur et une densité phénoménale. La première fois où il m’a fait sentir un Fali (explosion de force), avec le bout des doigts sur la poitrine, j’ai eu l’impression qu’un camion m’avait percuté. Malgré l’apparente légèreté du contact, j’ai senti une masse énorme derrière. Ça te pénètre littéralement et donc tu prends un vol !

Sur une pression verticale (Xia Fa Li), c’est comme si un sac de ciment de 35kg te tombait instantanément sur les bras. Il faut d’ailleurs faire attention avec cela car il y a régulièrement des KO si tu ne tiens pas ta tête.

Comment cela ?

Si tes bras sont étendus, en garde, et que tu reçois un choc soudain par dessus, cela peut entraîner ton corps vers l’avant, avec ta tête qui reste dans sa position, comme un coup de lapin.

Il y a d’ailleurs une histoire concernant Wang Zhang Zhai, le fondateur du Yi Quan. Un affrontement s’était tenu avec le chef de la garde nationale, lui aussi féru d’arts martiaux. Ce dernier raconte qu’il se souvient se rapprocher de Maître Wang, que leurs avant-bras se touchent et qu’instantanément la lumière s’est éteinte ! Le choc a été tellement violent qu’il aurait perdu connaissance. 

Impressionnant ! Il y a également un travail sur l’absorption ?

La frappe au ventre est également un test courant dans les arts martiaux chinois. Et Maître Cui excelle dans ce domaine. Il est capable d’absorber ta frappe à l’instar d’un airbag qui se dégonfle et se gonfle, sur quelques centimètres. Ta frappe est comme “freinée” à son contact et n’a aucun effet. C’est perturbant ! Il peut même te renvoyer ta force. Et si à ce moment, tu ne tiens pas bien ton poignet, tu sens bien que tu pourrais te blesser.

Comment vois-tu le Yi Quan par rapport à ton Kung-Fu ?

Je le vois d’abord comme un moyen de développer mon Kung-Fu à un plus haut niveau. Car concernant la maîtrise du corps, quelle que soit la pratique, on a assez de travail pour toute une vie. Et c’est particulièrement vrai en Yi Quan, méthode particulièrement respectueuse du corps qui permet de s’entraîner jusqu’à un âge avancé. L’intérêt du Yi Quan c’est aussi que tu peux conserver ton style : Kung Fu, Karaté, Aïkido… et ses techniques. Le Yi quan t’apprend “seulement” à mieux utiliser ton corps. C’est une pratique qui peut être complémentaire de n’importe quel style ou art dit “externe”.

Quel est l’objectif de la pratique ?

En tant que pratique martiale, le premier but du Yi Quan est de retrouver cette force instinctive qu’ont les bébés ou les animaux qui ne vivent pas avec des codes sociaux semblables aux nôtres. On parle de Hun Yuan Li en chinois, la force primordiale ou globale. Un chimpanzé fait ton poids et pourtant il est beaucoup plus fort que la moyenne des humains. Il a plus de force parce que son corps est “lié” et il utilise une plus grande part de son potentiel musculaire. Cette notion d’unité du corps dans le Yi quan est primordiale.

On a tous entendu ces histoires de manifestations de force extraordinaire dans des situations de stress, de peur ou de colère extrêmes. Le but du Yi Quan est de pouvoir mobiliser un maximum de son potentiel, à volonté, sans passer par ces états émotionnels et de le faire instantanément. On comprend mieux ainsi la traduction “poétique” du terme Yi Quan qui est : “faire instantanément ce que le coeur désire”.

Quelle est la part de la visualisation dans ce travail ?

C’est une des clés ! Sans visualisation l’entraînement postural (Zhan Zhuang) n’est qu’un travail isométrique “vide” et sa portée est très limitée en termes de développement martial. La visualisation doit être toujours présente et celle-ci évolue au fur et à mesure que l’on progresse. 

Quel est l’intérêt du travail de la posture pour le combat ? À quel point ne pas bouger permet-il de bien bouger ?

Les effets de la posture sont multiples. Tout d’abord, sur la force : le travail postural associé à la visualisation va permettre de lier le corps et de créer des connexions avec des fibres musculaires “dormantes”. Par le recrutement de plus de fibres et la mise en œuvre de liaisons articulaires particulières, on obtient une augmentation de la force utilisable en combat. Le deuxième effet concerne la vitesse et l’amplitude de mouvement. Si la visualisation est importante dans la posture, le relâchement musculaire l’est au moins autant. C’est grâce au relâchement des tensions inutiles, associé à des exercices spécifiques d’étirement du haut du corps que l’on va gagner en amplitude de geste. Et le relâchement permet aussi une plus grande explosivité. Enfin le travail postural, par l’attention qu’on porte au placement du corps et aux sensations, améliore la coordination.

Quelle différence fais-tu entre le travail de la posture et la méditation ?

Il y a en effet un aspect méditatif dans la posture. Ça n’est pas un hasard si les japonais désignent le Zhan Zhuang sous le nom de Ritsu Zen (Zen debout).

Le travail de visualisation peut tout changer, car ce qui se passe dans ton corps est très lié à ce qui se passe dans ta tête.

La différence principale, c’est qu’en posture il y a un léger travail musculaire. Le corps entier reste tonique. Cela peut être fatiguant au début. L’idée c’est de trouver ce second souffle, là où le corps va s’aligner tout seul. Au bout d’un moment, tu atteins une sorte de plénitude où tu as l’impression de flotter dans l’eau, d’être dans une bulle. C’est très agréable. Et cela peut s’approcher d’un état de conscience modifié par certains aspects.

À quoi servent les micro-mouvements que l’on fait en posture ?

L’entraînement sportif ne consiste pas seulement à augmenter le volume de ses fibres musculaires. Les fibres deviennent également plus réactives aux stimulations des cellules nerveuses. C’est le but des “micro-mouvements” : travailler sur la stimulation et les connexions. Cette méthode d’entraînement a l’avantage de permettre un grand nombre de répétitions sans fatiguer les muscles ni abîmer les articulations.

Cela permet d’aller plus vite ?

Oui. Mais bien que le relâchement musculaire joue sur la vitesse d’exécution, il y d’autres facteurs purement physiques et mécaniques sur lesquels on ne peut pas beaucoup influer. Rapidement, le pratiquant va s’attacher à diminuer l’amplitude de ces micro-mouvements jusqu’à atteindre une immobilité apparente. Une fois parvenu à ce stade, il est possible alors d’accélérer le mouvement pour augmenter le flux d’informations. En améliorant la commande par le travail de micro-mouvement, on gagne de manière significative en temps de réaction. Si tu es face à un adversaire et que tu “dégaines” un dixième de seconde avant lui, tu as gagné. 

C’est cela le travail de l’intention, le fameux « Yi » ?

On met beaucoup de choses derrière le mot “Yi”. Les gens le traduisent par “pensée”, “volonté”, “idée”, “visualisation” ou “image” et parfois confondent avec les sensations qu’il génère. Mais c’est littéralement l’intention. C’est, par la pensée, “tirer un arbre”, “enfoncer un planche dans l’eau”, “presser un ballon”, etc. Mais l’imaginer ne suffit pas ! Il faut que la concentration soit assez forte pour générer dans le corps la sensation de mouvement ou de pression… sans bouger. C’est ça pour moi le véritable “interne”.

Mais si on lie tout le corps, on ne bouge plus. Que signifie donc lier le corps ?

Il ne faut pas confondre connexion et rigidité. Lier le corps c’est la capacité à verrouiller ses articulation à l’instant T d’application de la force (poussé, frappe, etc.). Car si à ce moment tu n’es pas lié, la force ne peut être correctement transmise. Si je donne un coup de poing, et que mon épaule n’est pas verrouillée au moment de l’impact, une partie de ma force sera absorbée par le mouvement de l’articulation. 

Ensuite, il est tout aussi important de relâcher les tensions immédiatement après le geste. Le véritable art du Yi Quan réside dans la capacité du pratiquant à alterner rapidement contraction musculaire et relâchement. Changer d’idée, ne pas rester figé dans une action, permet de s’adapter à tout moment et en toute circonstance. 

Comment appliquer concrètement ce travail de posture dans le combat ?

Cela doit venir tout seul. Maître Yao Zong Xun, le maître de Me Cui Rui Bin, disait que quand il faisait une poussée sur quelqu’un, il ne faisait rien d’autre que ce qu’il faisait seul à l’entraînement. La différence, c’est qu’il avait répété ses Shi Li des dizaines d’heures, seul, dans le vide. La perfection passe par la répétition.

Et il faut un grand nombre de répétitions pour faire en sorte que le corps intègre ces principes et que leur expression devienne naturelle.

Comment est la pratique en Chine ?

En Chine, dans les écoles de Yi quan (du moins celles de la lignée de Maître Yao) on s’entraîne en moyenne 6h par jour 6 jours par semaine. Cela représente des volumes d’entraînement conséquents, de l’ordre de 1800h par an. C’est énorme ! Mais certains s’entraînent bien plus encore ! En France, si nous nous entraînons 10h par semaine (ce qui, à moins d’être professionnel, est déjà conséquent), on est à 500h par an… Il ne s’agit pas du tout de la même échelle !

Toutefois, les sciences de l’entraînement modernes ont démontré que les temps de repos sont indispensables à l’apprentissage. Cela permet au corps de se régénérer, mais aussi de donner au cerveau un temps de décantation. Les énormes quantités d’entraînement à la mode chinoise donnent donc lieu à controverse. 

À quoi sert l’exercice des poussées de mains ?

À l’origine, le Tui Shou est un moyen de tester sa force avec un opposant sans risquer de se blesser. C’est un exercice très riche d’enseignement pour le combat. On absorbe la poussée de l’autre, on feinte, on déséquilibre en poussant/tirant son partenaire avec les mains, les avant-bras, l’épaule ou le corps tout entier et on essaye de le projeter avec un minimum de contraction musculaire. Pour le débutant, le Tui Shou tel que pratiqué en Yi quan va permettre de développer la coordination, la gestion de la distance, l’équilibre par la prise de conscience des transferts de poids et à haute intensité, le cardio. À un niveau plus avancé, il développe des qualités utiles et utilisables en combat telles que l’absorption et/ou utilisation de la force de l’adversaire, le contrôle de l’axe et  la capacité d’alternance rapide d’enracinements et de déplacements pour ne citer que celles la. Comme dans toute opposition, la victoire dépend de la faculté d’adaptation du combattant.

C’est l’éternelle quête des arts martiaux : comment s’entraîner à quelque chose qui fait mal sans se faire mal ?

La réponse est simple : lenteur et relâchement. La lenteur mène au contrôle. C’est ce que je demande à mes élèves en combat : “si votre appui était mauvais, si à pleine vitesse vous auriez pris le coup, acceptez-le ! Cela ne sert à rien de bloquer à tout prix pour être en réussite.”

On dit souvent « la lenteur est supérieure à la vitesse, l’immobilité est supérieure à la lenteur ». Cela semble contre-intuitif.

Que la lenteur soit supérieure à la rapidité, dans l’apprentissage moteur, c’est normal. Cela permet au cerveau de prendre le temps d’analyser le mouvement et d’assimiler le positionnement du corps pour réaliser le geste. La lenteur est donc essentielle. L’adage dans le Yi quan est plus exactement “Les petits mouvements sont plus efficaces que les grands mouvements, l’immobilité est plus efficace que les petits mouvements”. Cette maxime que l’on prête a Wang Xiang Zhai, le fondateur, rappelle l’importance de réduire l’amplitude du mouvement dans la posture afin de réduire les contractions musculaires et développer la sensation. 

Quel est ton positionnement par rapport à la self-defense ?

Le travail de dégagement et de clés, sur des saisies ou des frappes est intéressant, mais ça reste des “recettes de cuisine” pas forcément applicables en situation réelle car il y a beaucoup trop de paramètres qui nous éloignent de l’entraînement en salle. Pour moi, c’est la réponse instantanée qui est décisive. Je ne suis pas adepte des enchaînements de techniques trop complexes appris par cœur en club. Ce n’est pas, à long terme, un gage d’efficacité. Je crois davantage à la spontanéité.

Il n’y a pas de discipline qui se rapproche plus du vrai combat dans la vie que… le vrai combat. Et le vrai combat tu ne peux pas vraiment t’y entraîner. Au mieux cela passe par des exercices conventionnels que tu vas répéter mais il faut garder en tête que dans la rue, il n’y a pas de règle, que le sol est dur, que ton adversaire peut avoir des amis, que n’importe quoi peut se transformer en arme et surtout que ton état émotionnel peut te désarmer. Bref, autant de paramètres qui font que n’importe qui, même le plus grand expert peut se faire surprendre. Le professeur doit en permanence le rappeler à ses élèves. 

Comme m’a dit un jour un ami à moi : « on fait des arts martiaux pour se préparer toute notre vie à un événement qu’on veut ne jamais voir arriver. »

Le Yi Quan est réputé pour sa martialité, mais est aussi associé à une pratique de santé

C’est exact. Une fois, un élève a demandé à Maître Cui : « Que faut-il faire pour soigner les gens ? » Il a répondu : « Fais 2h de posture par jour. Si tu fais 2h par jour tu auras un niveau d’énergie suffisant et tu commenceras à sentir des choses ». L’idéal est d’enseigner la posture pour que les gens se soignent eux-mêmes. L’âge venant, la place de la santé dans la pratique doit augmenter. On travaille alors moins avec le sac, mais plus sur la posture. Les images mentales utilisées sont plus douces (par exemple : tenir un ballon de papier plutôt qu’un arbre) et l’intensité du travail, moins grande. Le Zhan Zhuang va permettre d’entretenir le tonus musculaire (et donc le système cardio-vasculaire) jusqu’à un âge avancé. En outre, chaque exercice étant guidé par une image mentale, cela va renforcer la concentration et permettre de stimuler positivement le cerveau.

Tu as déjà vu Maître Cui « soigner » ?

Un jour, il m’a fait quelque chose sans que je m’en aperçoive. J’étais en posture, c’était difficile ce jour-là et d’un coup cela s’est relâché. En en parlant avec les autres après la séance, j’ai appris que le Maître était venu derrière moi et avait placé ses mains à quelques centimètres de mon dos pendant 2-3 minutes… Il fait parfois cela lorsqu’on est en posture.

Il donne des “coups de pouce” plus ou moins importants selon la volonté de l’élève et sa capacité à s’entraîner. Bien sûr je n’étais pas malade ou blessé. Mais je l’ai vu aider des personnes ayant des handicaps lourds (AVC, hémiplégie, amputation, troubles nerveux) avec des résultats étonnants. 

As-tu des exemples de rémission par la pratique ?

Un de mes élèves portait un pacemaker. Je l’ai entraîné en privé pour ne pas prendre le risque qu’il prenne un coup sur la poitrine. Il a beaucoup pratiqué la posture. Au bout de 2 ans, quand il est allé voir son cardiologue pour un contrôle, ce dernier lui a dit après avoir vu l’électrocardiogramme qu’a priori, il ne devrait presque plus avoir besoin de la sonde. Son nerf vagal ne fonctionnait pas bien et il y a des chances que ce soit la pratique qui ait amélioré cela car c’est la seule chose qui avait changé dans sa vie. Sachant qu’en Chine il y a beaucoup d’études menées en ce sens, j’en avais alors parlé à Maître Cui. Il connaissait cette pathologie et m’avait encouragé à continuer à entraîner cet élève. Il m’avait d’ailleurs dit à l’époque : « Si tu veux soigner les autres, il va falloir ouvrir des livres d’anatomie et de physiologie ». Ce que j’ai fait.

Comment enseignes-tu ?

J’ai commencé la pratique avec le Wa-jutsu. C’était un univers assez éthéré avec des images un peu vagues quant aux sensations. Probablement à cause de mon esprit cartésien et de ma formation d’ingénieur, j’ai préféré ne pas enseigner ainsi. J’essaie d’être très précis dans mes explications et dans les mots que j’utilise. 

On emploie souvent des métaphores dès lors qu’il s’agit de sensations…

Justement, les métaphores sont un outil utile, mais parfois, elles sont tellement “poétiques” qu’elles en deviennent incompréhensibles. C’est bien de donner des images aux gens dans la mesure où cela leur permet d’avancer. Mais il ne faut pas que cela serve un discours où le professeur n’est pas capable de t’expliquer clairement ce qu’il fait…

Pour moi, te dire que « tes pieds s’enfoncent dans le sol comme les racines du chêne et que le haut de ton corps doit être léger comme le roseau dans le vent » n’apporte rien parce que tu n’es ni un chêne, ni un roseau. Je préfère parler de rétroversion du bassin, de sensation d’appui, de relâchement tes épaules et d’étirement du dos. J’essaie d’employer un vocabulaire qui corresponde à notre culture.

Je pense que l’efficacité d’un art n’est pas dans l’art en lui-même, mais dans la manière dans laquelle il est enseigné.

Michel Tournerie enseigne le Yi Quan et le Kung Fu Binh Dinh dans la région de Toulouse : https://binhdinh-toulouse.fr/

Cet interview est initialement paru dans Dragon Mag Spécial Aïkido #10


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