Lorsque l’on écrit un article, on cherche généralement à exprimer un problème que l’on pressent et à en trouver des solutions. Ce faisant, l’intention initiale est d’apporter quelque chose au lecteur. Toutefois, cela a pour conséquence – notamment en ce qui concerne l’Aïkido – de donner l’impression au lecteur que la discipline est inepte et moribonde. Ainsi, la lecture d’un magazine spécialisé peut ressembler à une longue liste de « choses qui vont mal ». Aussi, et au vu du contexte ambiant, il est peut-être bon que l’on se rappelle des aspects bénéfiques de cette pratique. Pour cela, quoi de mieux que de se mettre dans la peau d’un débutant qui pousse la porte d’un dojo ?

Ce dernier aura eu vent de la discipline par un ami ou en quelques clics sur internet. Il aura été fasciné par l’aura de Ueshiba Moriheï, qui incarne à merveille le vieux sage invincible. Quelques lectures auront renforcé son appétence pour cet art mystérieux venu d’orient et il aura eu tôt fait de trouver un dojo susceptible de l’accueillir.
Arrivé sur place, notre débutant en devenir aura été saisi par l’ambiance générale du lieu. L’espace, les bruits, les mots incompréhensibles, les odeurs, l’ordre, les vêtements, les attitudes… Tout lui aura semblé inhabituel, exotique. « Ce dojo fleure bon la promesse d’un autre moi » aura-t-il pu se dire en son for intérieur.
Le premier contact avec celui qui sera son « Senseï » sera probablement tout aussi marquant. Notre débutant aura tôt fait de lui prêter des vertus dont ce professeur ne se revêt que deux fois par semaine, lorsqu’il enseigne. Mais qu’importe, la magie est là ! Et il ne faut surtout pas la briser. Cet enthousiasme constitue la fondation sur laquelle s’appuiera toute une vie de pratiquant. On n’efface pas impunément les premiers souvenirs. Ils sont fondateurs.
Les premiers cours auront été épuisants. La mécanique de l’Aïkido est complexe et demande pour la plupart des apprentis une grande concentration. Notre débutant, s’il est déjà un habitué de son corps, percevra rapidement qu’il y a plusieurs profondeurs de lecture et de pratique, et cela ne pourra que renforcer son envie de franchir des étapes. Il pourra également être très marqué par le rapport si particulier qu’il entretien avec ses partenaires d’entraînement.

Les années passant notre débutant franchira des étapes et commencera à percevoir les limites – car il y en a toujours – de la discipline. Deux possibilités s’offriront à lui : arrêter, par dépit, ou poursuivre. S’il arrête il trouvera généralement une quelconque excuse liée à son emploi du temps incompatible. Rarement il aura suffisamment de recul pour admettre, soit son incapacité à progresser, soit sa déception car la discipline ne lui permet pas la transformation magique dont il rêvait.
S’il continue, il s’appuiera généralement sur deux modes de réflexions antagonistes. Le premier mode, le plus abordable, mais aussi le plus commun, consiste à porter des œillères. Des pirouettes intellectuelles permettent généralement de balayer les manques de la discipline en réduisant son champ d’application : « ce n’est pas pour se battre, c’est pour mon développement personnel » ou « ce n’est pas pour atteindre l’éveil, c’est un lieu d’échanges sociaux ».
Le second mode consistera à persévérer dans cette quête de l’idéal initialement promis par la discipline. Pour cela, le débutant devenu adepte, ira à la rencontre de tous les pratiquants et maîtres qu’il pourra rencontrer, jusqu’à étancher sa soif. Si après cette étape liminaire il sent son estomac toujours vide, il ira à la quête d’autres disciplines. Enfin, il initiera très probablement ses propres recherches afin de combler les manques qu’il perçoit. À ce stade, le débutant est un adepte accompli et généralement il enseigne.
Notons bien que les manques perçus sont loin d’être universels. Ils sont souvent liés à une quête personnelle, elle-même relative à l’histoire, la personnalité, la morphologie de l’adepte.
Ce qu’il m’intéresse de pointer du doigt avec ce bref descriptif c’est que notre discipline, comme toute autre permet de franchir des étapes.

Au début de chaque histoire il y a l’enthousiasme, la passion. Au bout d’un moment, ce feu s’éteint pour laisser place à des braises. Les moments vécus sont alors moins intenses, mais ils n’en recèlent pas moins des enseignements précieux. Il est généralement difficile pour un adepte de percevoir que la manière dont il pratiquera et dont il abordera sa pratique, évoluera beaucoup. Vouloir s’accrocher au récit que l’on se fait en tant que débutant n’est pas possible. La conséquence de cela serait de vouloir être un éternel débutant et de sauter de discipline en discipline jusqu’à trouver son bonheur. Bonheur qui semble toujours s’éloigner davantage.
Dans ce petit récit, on peut remplacer le terme Aïkido par n’importe quel autre. Il est alors légitime de se demander qu’elle est la différence, la spécificité, voire l’avantage de notre art. Il n’y a aucune différence avec les autres arts ! L’Aïkido a des points forts et des points faibles. La porte d’entrée de la discipline est spécifique (japonaise, martiale, etc.), mais une fois cette porte passée, tout est semblable. On trouve une ambiance, un langage, des attitudes, des gens, des émotions…
Quel est le point commun entre toutes les disciplines ? Elles pensent toutes qu’elles sont différentes !
De fait c’est le hasard qui nous mène vers l’une ou vers l’autre. Ce que nous en faisons nous appartient. Bien sûr, certains arts nous correspondront mieux que d’autres et nous pourrons y exceller et ainsi nous en servir comme d’un bâton de marche sur lequel s’appuyer pour arpenter le chemin de notre vie. Mais au fond, qu’importe le bâton, il faut marcher !
Cet article est initialement paru dans Aïkido Journal n°76
