L’Aïkido : un art martial de paix ?

L’Aïkido est généralement présenté comme l’art martial de la paix. Le néophyte découvrant la discipline fait ainsi face à un salmigondis d’oxymores où bienveillance et compassion côtoient aisément l’idée d’une redoutable efficacité martiale.

Il me semble que c’est à cela que l’on fait référence lorsque l’on parle de l’esprit de l’Aïkido : l’alliance de ces deux concepts opposés, que sont la compassion et la martialité.

Cette idée a fait son lit et on ne la questionne plus. Àmoins d’effectuer un important travail d’historien, il est difficile de savoir si c’est ce qu’entendait le fondateur. On peut même aisément en douter, puisque certaines sources mettent en cause le fait qu’il ait été un pacifiste convaincu.

Définir l’esprit de l’Aïkido ?

Toutefois, il ne m’intéresse pas de tenter de définir clairement l’esprit de l’Aïkido. L’Aïkido est un outil qui permet d’atteindre des buts différents pour chacun. Il me semble donc plus judicieux de déterminer comment fonctionne cet outil et les difficultés que l’on peut rencontrer en l’utilisant.

Un art martial différent ?

Un des écueils consiste à penser que l’Aïkido est un art martial à part, différent des autres. L’outil est alors perçu comme une recette miracle à tous nos maux et nous oublions que les changements dans nos vies se produisent principalement par le biais d’une grande quantité de travail intelligent – non par une présence accrue sur un tatamis.

Ce n’est pas parce que l’on se rend dans une salle de musculation et que l’on y pratique les mêmes exercices qu’Arnold Schwarzenegger que l’on finit par obtenir le même physique ! Pour cela, il faudrait d’abord déterminer les poids employés, les temps de repos, la vitesse d’exécution, le passif sportif, la durée des cycles pendant lesquels ont utilise ces exercices, la nutrition… Il faudrait également vérifier qu’il s’agit bien des mêmes exercices, effectués avec la même intention… Sans compter que ce qui a pu être « bon » pour Arnold Schwarzenegger n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus adapté pour nous à l’instant T. Bref, il est évident qu’aller à la salle ne rend pas musclé, seul ce qu’on y fait compte.

Toutefois, lorsqu’on transfère ce raisonnement à l’Aïkido tout sens commun disparaît.

On en vient à penser qu’aller à un dojo d’Aïkido suffit pour être quelqu’un de meilleur.

Ce n’est pas en pratiquant quelque chose que l’on appelle Aïkido que l’on devient meilleur. Ce n’est pas non plus en faisant « les techniques du fondateur » que l’on devient meilleur en soi-même (d’ailleurs qui sait exactement ce qu’il faisait ?). C’est en réfléchissant à ce qu’on veut devenir et en y travaillant constamment.

Ne pas se confronter aux autres disciplines

Cette tendance à postuler que ce que l’on fait est « à part » est un – relativement – astucieux moyen de s’extraire de la comparaison avec les autres arts. Ce faisant on s’extrait également de la pression compétitive et l’on ne bénéficie plus du potentiel de progression qu’elle contient. Pour l’adepte qui souhaite ouvrir ses perspectives il est, au contraire, impératif d’aller voir ce qui se fait ailleurs.

Préserver son partenaire

Il ne faut également pas oublier que l’idée de préserver son partenaire n’est pas propre à l’Aïkido ; pour la simple raison que si on ne le fait pas on finit par ne plus avoir personne avec qui s’entraîner. On peut même constater que la pratique répétée de chutes violentes n’épargne en rien le capital santé du partenaire. Il est probablement meilleur pour la santé de s’entraîner doucement à des techniques dangereuses (avec des lames vives par exemple), plutôt que violemment à des techniques peu dangereuses.

Corps et esprit ?

Si l’on admet donc que l’Aïkido n’est pas un art martial différent des autres, mais juste un outil, alors on peut véritablement commencer à travailler. Il ne s’agit alors plus de coller à un idéal dont on ne sait pas grand chose, mais plutôt de définir son propre idéal et d’y travailler.

La question n’est donc peut-être pas : « quel est l’esprit de l’Aïkido », mais plutôt « qui ai-je envie de devenir ? ».

Il existe différents outils pour faire évoluer ce que nous sommes. L’intérêt de l’Aïkido est qu’il est en prise directe avec le réel : si vous n’êtes pas pleinement présent vous vous prenez un coup.

Certes, d’autres disciplines de combat présentent également cet avantage et leurs adeptes semblent obtenir d’excellents résultats en termes de qualité de présence et de concentration.

Toutefois, le fait que notre discipline ne comporte pas de compétition, et donc pas d’obligation de résultat immédiat, permet de moduler les curseurs de difficulté. Cela permet ainsi d’accueillir un panel plus large de pratiquants, mais aussi d’obtenir des résultats plus sophistiqués sur le long terme.

Il serait dommage que cet avantage devienne un inconvénient et que l’absence d’obligation de résultat mène à une absence de résultats…

De la cohérence

En partant de l’idée que « nous sommes ce que nous faisons de manière répétée », il est vraisemblable que quelqu’un qui s’entraîne à frapper des adversaires plusieurs heures par semaine aura un rapport au réel différent de quelqu’un qui fait chuter des partenaires. Il ne faut toutefois pas conclure hâtivement : ce n’est pas parce qu’on frappe quelqu’un qu’on le fait violemment et ce n’est pas parce qu’on effectue une clé articulaire que l’on exprime de la compassion.

une clé articulaire… 😉

Ainsi, si l’on souhaite exprimer de la compassion à travers sa pratique, il faut que cela s’incarne vraiment, cela ne doit pas rester au stade intellectuel.

Mieux vaut une once de compassion mise en application qu’une tonne restée à l’état d’idée.

L’esprit de l’Aïkido, tel que je l’ai présenté, est fait d’une alliance paradoxale entre martialité et bienveillance. Tenter de résoudre ce paradoxe, c’est questionner le rapport que nous entretenons avec le réel. Cela nous amène inévitablement à nous regarder en face et donc à progressivement améliorer ce que nous sommes.


Cet article est initialement paru dans Dragon Magazine Spécial Aïkido n°18.


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