Par Germain Chamot
Marco Pinto est un instructeur de premier ordre de la célèbre Takamura-Ha Shindō Yōshin-ryū, une école traditionnelle pré-ère Meiji dirigée par Tobin Threadgill sensei. Il a également intensément pratiqué le karate-dō Wadō-ryū. Il partage ici sa double expérience des gendai budō et des koryū.

Pourquoi avez-vous commencé les arts martiaux ?
Avec mon frère Artur, nous nous affrontons depuis l’enfance. Les arts martiaux nous ont toujours attirés. La plupart des enfants jouent avec des épées et nous n’étions pas différents. Le fait que notre père ait pratiqué le jūdō avec l’une des légendes du jūdō portugais, un 9e dan du Kōdōkan : Kobayashi Kiyoshi, nous a certainement incité à poursuivre cette voie de manière plus sérieuse.
Mais vous avez finalement pratiqué le karate ?
En effet. Là où nous vivions, l’offre en termes d’arts martiaux était limitée. Cela nous a conduit au club de karate local sous la tutelle de M. Luís Tomé. Le fait que, par hasard, le Wadō-ryū était enseigné a eu une influence décisive sur nos vies pendant les 35 années qui ont suivi. J’ai commencé à 11 ans et nous avons pratiqué le karate pendant plusieurs années et nous nous sommes beaucoup impliqués dans des compétitions internationales.
Qu’est-ce qui vous a amené à découvrir le Takamura-Ha Shindō Yōshin-ryū (TSYR) ?
Au début des années 2000, on pensait que le Shindō Yōshin-ryū (l’école de la nouvelle voie du saule) avait disparu et que Otsuka sensei, le fondateur du Wadō-ryū, était la dernière personne à avoir reçu un menkyo kaiden (niveau supérieur de licence d’enseignement). Nous pensions que tout avait été transmis dans le Wadō-ryū et que le Shindō Yōshin-ryū n’existait plus. Ainsi, lorsque Takamura sensei a donné son interview pour aikidō Journal, cela a quelque peu révolutionné le monde du Wadō-ryū.
Lorsque j’ai appris que Threadgill sensei enseignait en séminaire à Palma de Majorque, en Espagne, j’y suis allé à la première occasion et environ deux ou trois ans plus tard mon frère et moi avons commencé un groupe d’étude au Portugal. En un an, Threadgill sensei nous a délivré à tous les deux des licences d’enseignement shōden et ce fut le début de notre aventure.
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans le TSYR ?
Pour être honnête, à cette époque, je pratiquais le Shindō Yōshin-ryū avec un intérêt pour l’aspect historique afin d’améliorer ma pratique du Wadō. Au fil du temps, le TSYR est devenu prioritaire et nous avons établi une relation de proximité avec Threadgill sensei.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le TSYR ?
Le Shindō Yōshin-ryū est principalement influencé par deux lignées différentes du Yōshin-ryū : le Yōshin koryū et l’Akayama Yōshin-ryū. Il y a également de fortes influences du Shinkage-ryū et du Jikishinkage-ryū.
Takamura sensei a dit un jour que le Shindō Yōshin-ryū n’était pas un koryū (une ancienne école martiale traditionnelle). Cette déclaration a été mal interprétée : dans son esprit, un koryū est une école datant du Sengoku-jidai (période de guerres civiles entre 1477 et 1573) et le TSYR ne date pas de cette époque, mais de la fin de l’époque Edo (période de paix relative entre 1600 et 1868). Bien que le cœur de l’école soit défini par l’époque de sa formation, nous conservons également certains kata qui sont clairement issus des champs de bataille. Ces derniers sont brutaux, énergiques et frontaux, mais ils ne représentent qu’environ 25 kata de l’ensemble du programme.

Qu’est-ce que le Yōshin koryū ?
Il s’agit d’une forme plus passive de jūjutsu qui était principalement utilisée par les gardes du corps. La confrontation n’est pas activement recherchée et correspond en cela à l’idée du saule qui s’adapte aux contraintes. De son côté, l’Akayama Yōshin-ryū est une école beaucoup plus offensive. Par exemple, le principe tō no mae, le sabre en premier, vient à la fois du Shinkage-ryū et de l’Akayama Yōshin-ryū. Le sabre cherche toujours l’adversaire. Mais dans le Yōshin koryū, les lames s’entremêlent et on change davantage les angles.
Vous parlez beaucoup du sabre…
Bien que le sabre soit très présent, nous sommes une école de jūjutsu. Nous ne séparons pas ces arts. Nous sommes considérés comme un sōgō jutsu, une école d’arts martiaux complète. Tout ce que nous faisons est du Shindō Yōshin-ryū.
Combien de kata avez-vous dans l’école ?
Le nombre officiel est de 305 ! En plus de cela, il y a quelques sections du programme jōden que nous ne comptons pas comme des kata. La partie que nous appelons fukuru no gyo par exemple. Bien que gyo ne soit qu’un nom alternatif pour kata.
Pouvez-vous expliquer cela plus en détail ?
Le kanji utilisé pour le terme kata dans les écoles d’Okinawa est « forme », avec l’idée de moule. Tout ce qui est versé dans un moule en prend la forme : même proportion, même taille. Au contraire, dans le TSYR le kanji pour kata est gyo. Il y a la connotation de quelque chose qui se transforme en quelque chose d’autre, qui évolue, qui est plus personnalisé et adaptable. Le kata en lui-même n’est pas standard. Il y a une base de principes mais les choses sont adaptables et personnalisées. Simplement parce que tout le monde a des corps différents, des forces et des faiblesses différentes, donc le kata peut s’adapter à cela.
Le Wadō-ryū, probablement à cause de l’influence du Shindō Yōshin-ryū, utilise également le kanji gyo pour ses kata, contrairement aux autres écoles de karate d’Okinawa.
Cela semble être une idée assez moderne
Le Hokushin Itto-ryū a influencé les méthodes d’enseignement du Shindō Yōshin-ryū. Cette école a été influencée par la pédagogie utilisée pour enseigner la médecine occidentale au Japon dans les années 1800, par le biais de médecins allemands. L’idée était de développer des méthodes pour créer de meilleurs guerriers dans un laps de temps plus court. Les principes sont donc toujours les mêmes, que vous soyez à mains nues ou armé d’un sabre, d’un poignard ou d’un bâton.
Ce type de pédagogie génère-t-il plus d’autonomie ?
Si vous comprenez la logique derrière le principe du mouvement, vous pouvez comprendre ce que vous faites mal. Ce n’est plus une question de pied gauche ici ou de pied droit là. Il s’agit d’examiner dans quelle mesure vous parvenez à créer le kuzushi (déséquilibre) ou comment la connexion est établie. Cela devient adaptable à chaque partenaire. Threadgill sensei décrit cela comme une boîte à outils : plus on vous enseigne de principes, plus vous avez d’outils. Plus votre boîte à outils est riche, plus il vous sera facile de résoudre un problème particulier.
Si vous avez une grande boîte à outils, comment choisir le bon outil au bon moment ?
C’est là que l’expérience entre en jeu et c’est aussi la raison pour laquelle l’enseignement comporte différentes phases. Si l’élève est submergé par de nouveaux “outils”, il aura du mal à déterminer lequel est le bon à utiliser à un moment donné.
Y a-t-il des moyens d’organiser la boîte à outils ?
C’est pourquoi nous segmentons nos enseignements en 4 niveaux : shōden, chūden et jōden, qui est divisé en deux parties.
Dans chaque rouleau, il y a une section reihō et une section ura waza (techniques “cachées”) où sont décrits les principes du mouvement et les principes mentaux. Cela permet de stratifier l’enseignement afin que vous ne soyez pas submergé d’outils. Progressivement, vous apprenez de plus en plus de principes et, finalement, votre capacité à choisir ce qu’il faut utiliser et quand l’utiliser, se développe également.
Qu’est-ce que reihō ?
Il s’agit de l’étiquette qui conduit toutes les interactions au sein du dōjō. Il ne s’agit pas seulement de saluer au début du kata, ces règles imprègnent l’art tout entier et influencent certains aspects du kata. En effet, différentes étiquettes ont été utilisées à différentes époques, leur connaissance fournit un contexte à certaines actions. En tant que koryū, le reihō est important car il a également un impact sur les interactions sociales entre les étudiants et les relations avec les personnes d’autres arts.
Quelle distinction faites-vous entre les kata omote et ura ?
Le kata omote est la forme orthodoxe que nous utilisons pour transmettre les principes. Omote suppose que shitachi et uchitachi (tori et uke) soient de taille et de niveau similaires. C’est notre principale méthode pour enseigner l’art et c’est ce sur quoi nous passons le plus de temps.
Le kata ura, quant à lui, est la deuxième peau de l’oignon. C’est lorsque les principes fondamentaux du kata sont explorés et observés sous des angles différents. Cela suppose que l’élève possède déjà une certaine connaissance de l’art et du kata lui-même.
Notre définition du kata comprend également un autre aspect : henka. Il s’agit des variations personnelles, lorsque la forme devient « nôtre » et que le kata est exprimé d’une manière unique, qui peut être légèrement différente de celle d’une autre personne, tout en respectant les principes fondamentaux du kata.
C’est une idée construite sur le modèle shu-ha-ri, qui rend le kata vivant et intéressant, chose qui pourrait être perdue si nous nous concentrions uniquement sur le kata omote.
Comment se déroule la progression au sein de l’école ?
Mon expérience personnelle a été la suivante : au niveau shōden – niveau de base – tout était assez facile. Dans le sens où les choses sont noires ou blanches, bonnes ou mauvaises. Plus on évolue, plus tout devient gris : « Est-ce bien ? Peut-être que oui, peut-être que non, peut-être que tu peux aller ici et peut-être que tu peux aller là-bas ».
Évidemment, il y a des choses qui sont complètement fausses, mais dans le domaine du “OK”, beaucoup de choses peuvent convenir. Elles ne sont pas absolument parfaites, mais elles ne sont pas non plus entièrement fausses. C’est à cette étape que la confusion peut facilement apparaître.
Quelle est la fonction des kata ?
Pour moi, c’est seulement quand on peut regarder le curriculum dans son intégralité que les choses prennent sens. Et je pense que c’est vrai pour la plupart des koryū. Quand j’ai commencé à m’entraîner au niveau jōden, le curriculum dans son intégralité a acquis une nouvelle dynamique : « maintenant je comprends pourquoi nous faisons cela à ce niveau, avec cet objectif particulier ».
Chaque kata essaie d’enseigner une leçon spécifique. Et les leçons ne sont généralement pas répétées. Si vous aviez deux kata pour enseigner la même chose, l’un d’eux était retiré, car cela représentait juste une redondance inutile.
C’est notre travail, en tant qu’étudiants, d’apprendre ces kata, d’apprendre les principes et d’extrapoler tout cela à d’autres scénarios.
Le Takamura-Ha Shindō Yōshin-ryū semble avoir une pédagogie spécifique…
La plupart des écoles et lignées, n’ont plus de pédagogie d’entraînement cohérente et ne savent plus comment enseigner la théorie. Parce qu’elles ont trop insisté sur les applications, comme dans les sports de combat. Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est juste l’évolution. Les choses s’orientent uniquement vers les résultats, à tout prix, au lieu de suivre un processus, une pédagogie et une méthodologie, pour conduire à un certain endroit. Dans de nombreux koryū, nous avons exactement le contraire, avec un entraînement axé uniquement sur les formes et n’évoluant jamais au-delà de ce point.
Je crois que quelque part entre ces extrêmes se trouve le juste milieu. C’est à peu près ce que nous essayons de faire au TSYR lorsque nous faisons de la pratique libre et utilisons le shinai geiko (entraînement avec des sabres de bambou).
Mais cela se fait au niveau chūden supérieur, lorsque les gens sont assez expérimentés et ont déjà une assez bonne compréhension des bases techniques de l’école. Nous n’envoyons pas des élèves ayant 6 mois d’expérience se taper dessus. Ce serait peut être amusant, mais est-ce que cela produirait un résultat positif quant à l’évolution de l’élève ? Probablement pas.
L’élève doit donc passer par un processus spécifique ?
L’enseignement de l’école est censé vous transformer de telle manière que la technique n’a plus vraiment d’importance. Vous devenez alors une expression de l’école. C’est formidable sur le plan personnel, mais en tant que modèle d’enseignement, c’est calamiteux. Et à mon avis, c’est souvent ce qui s’est passé dans certaines lignées d’aikidō : certains enseignants ont atteint l’excellence, mais le processus pour y parvenir s’est perdu. Threadgill sensei dit parfois que l’une des pires choses qui puisse arriver à une école est d’avoir deux génies qui se succèdent à sa tête. Lorsqu’il y a un génie, il aura autour de lui des gens qui comprennent la pédagogie et la méthodologie pour amener les gens à ce niveau, donc ils pourront aider les autres à se développer à son décès, même s’ils ne sont pas eux-mêmes des génies. Mais quand on a une succession de deux génies, on a deux générations de gens qui sont absolument époustouflants, mais à la troisième génération, personne ne comprend plus un mot de ce qu’ils disent et personne ne peut reproduire ce qu’ils font. C’est à la fois fantastique et triste pour l’école.

Vous avez expliqué que le sabre vient en premier, puis le corps suit…
L’idée de tō no mae est que le kissaki (la pointe du sabre) débute le mouvement et le corps suit. Si vous êtes à mains nues, c’est la main qui commence à se déplacer vers votre adversaire. Il n’y a jamais l’idée d’un positionnement complet en premier. Au niveau débutant, nous renforçons ce schéma pour empêcher les pratiquants d’être exposés à un contre lorsqu’ils se mettent à distance de l’adversaire. À un certain niveau, les deux mouvements sont presque simultanés.
Pensez-vous que c’est une manière de faire commune à tous les koryūs ou est-ce spécifique ?
Je ne saurais pas le dire. J’ai eu des expériences dans d’autres lignées et certaines écoles ont des approches très différentes. Il y a des écoles dans lesquelles on pose le pied puis on coupe, et d’autres dans lesquelles le sabre part en premier et le corps suit.
Comment coupez-vous ?
Il existe différentes coupes, mais toutes sont effectuées soit en oshi giri, soit en hiki giri. En oshi giri, le sabre presse vers l’avant, en hiki giri, la coupe est tirée vers l’arrière, bien que le retrait ne soit jamais effectué avec les mains ou les bras. Il n’y a jamais non plus l’idée de fendre, simplement en appliquant la lame perpendiculairement. Le fait que nous tirions toujours un peu avec nos jambes, garantit que le sabre continue à se déplacer vers l’avant ou l’arrière, pendant qu’il coupe. Cela permet de tirer le meilleur parti possible de la courbure du sabre.
Pouvez-vous expliquer tai otoshi ?
Nous tirons presque toujours avec les jambes et laissons tomber le corps, tai otoshi. Nous ne pressons pas contre le sol et nous n’utilisons aucune action préparatoire. Lorsque vous retirez simplement vos pieds de dessous vous, cela permet à la gravité de vous tirer vers le sol de manière très efficace. La plupart du temps, lorsque nous frappons ou coupons, nous utilisons tai otoshi.
Dans tai otoshi, tout bouge en même temps, les bras, le corps, les jambes. Mais cela ne signifie pas pour autant devenir un bout de bois, cela signifie que tout est synchronisé.
Comment pivotez-vous ?
Nous utilisons généralement trois axes. L’axe central et deux axes situés au-dessus de la tête de chaque fémur. Selon le contexte, vous pouvez utiliser la rotation du haut du corps différemment.
Vous avez parlé de la capacité à changer…
L’idée de la capacité à changer son corps, sa technique et son esprit en même temps vient de la conjugaison de plusieurs principes tels que kobo ishi, ju no ri et chushin tadasu, par exemple, ou suishin no suitai et mukei. Vous pouvez changer chacune de ces choses individuellement, ou vous pouvez les changer toutes en même temps. Nous devrions avoir, à tout moment, la capacité de tout changer. Vous ne devez jamais être complètement engagé vers la direction dans laquelle vous allez, vous devez être capable de vous adapter, de corriger ou même de reculer à tout moment. Dans le Wadō-ryū, ces idées étaient également adoptées sous le principe de san mi ittai.
Comment gérez-vous les saisies ?
Les saisies sont des tentatives d’actions visant à contraindre quelqu’un, soit pour le frapper, soit pour l’empêcher de dégainer ses armes. L’hypothèse est qu’il y a toujours des armes en jeu. Si je vous perçois comme une menace, une de mes premières tentatives sera de saisir vos mains pour vous empêcher de dégainer votre arme, peut-être que je frapperai également pour prendre le dessus. Voilà donc le contexte dans lequel nous utilisons les saisies de poignets. Saisissons-nous beaucoup ? Oui, mais saisir est toujours une étape vers autre chose.
La saisie est-elle alors offensive ou défensive ?
Cela dépend… Nous essayons de différencier l’initiative physique de l’initiative mentale. Il y a des contextes où l’on pourrait dire que vous vous défendez parce que vous avez été saisi. Si vous regardez uniquement l’aspect physique, c’est le cas. Mais l’initiative mentale est que j’avais déjà l’intention de dégainer mon arme. Donc vous répondez à cela en saisissant mon poignet. Cela arrive souvent dans nos kata idori.
Cela étant dit, quelque chose que nous ne faisons pas est de saisir quelqu’un avec une posture corporelle défensive. Cela n’a pas de sens, si je vous saisis, j’essaie de vous contraindre et de vous frapper ou de vous projeter. Saisir en se penchant en arrière et sans engager de puissance dans la saisie n’a aucun sens.
Qu’en est-il du côté avec lequel on saisit ?
Bien que nous puissions les pratiquer des deux côtés, chaque kata a un côté spécifique sur lequel il doit être exécuté. La plupart du temps, la raison à cela est la présence d’armes. Il y a certains mouvements que vous ne pouvez pas faire parce que vous entrechoqueriez vos sabres.
Le fait qu’environ 90 % des gens sont droitiers et qu’ils saisiraient alors avec la main gauche pour attaquer avec la main droite pourrait être une explication ?
C’est également vrai. Peut-être que dans le contexte du kata, tout ce que vous voyez est la saisie de la main. Le reste n’apparaît jamais parce que l’autre réagit alors et fait son côté du kata. C’est l’une des choses qui nous préoccupe également lorsque nous enseignons : le contexte supposé. Les choses que l’on ne voit jamais, qui n’apparaissent jamais dans le kata, donnent parfois tout leur sens.
Vous semblez avoir beaucoup de kata assis
Nous avons 25 kata idori sans armes et 10 kata idori avec armes. Tous ont des contextes légèrement différents. Par exemple, il y a une série où nous ne sommes pas assis en seiza. Nous le faisons dans une position appelée hiro no kamae. Vous êtes à genoux, mais vous êtes sur la pointe des pieds et un genou est levé. Vous le faites parce que le contexte est que vous portez une armure légère. Les sune (protège-tibias), vous empêchent de vous asseoir en seiza. Ce n’est jamais quelque chose qui se passe à l’intérieur, mais à proximité du champ de bataille, mais vous ne portez pas le kabuto (casque) et vous ne portez probablement pas de kote (protection de l’avant-bras), mais vous avez votre do (protection du buste).
Ces séries de kata ont un feeling complètement différent des kata idori pratiqués en seiza ou heiza. Ces derniers sont un peu plus orientés vers le champ de bataille et ne recèlent pas tellement de finesse de mouvement.
Dans le Wadō-ryū, il existe également des kata idori. Viennent-ils tous du TSYR ? Pourquoi ont-ils été modifiés ?
Plusieurs kata à deux dans le Wadō-ryū proviennent du Shindō Yōshin-ryū. D’autres proviennent des écoles de karate d’Okinawa, comme l’enren gata, ou ont été créés par Otsuka sensei.
Je crois que les raisons qui ont motivé certains changements apportés aux kata Wadō-ryū étaient principalement liées à des problèmes de sécurité. En effet, le Wadō-ryū à ses débuts était principalement enseigné dans des universités dotées de parquets en bois, cela a probablement conduit à modifier certaines projections pour les rendre moins dangereuses.
D’autres aspects ont pu être modifiés à cause de l’objectif d’Otsuka sensei de développer une pratique accessible à tous. Dans cette perspective, il serait tout simplement irresponsable d’enseigner certaines compétences au grand public. Il y fait allusion dans plusieurs textes qu’il a écrits et même dans sa décision d’adopter la position seiza, qui était la position utilisée par les roturiers au Japon féodal, par opposition à la position heiza utilisée dans le TSYR, qui était la position de la classe des samouraïs avant l’ère Meiji.

Avez-vous des tanren spécifiques ?
Nous avons une série de kata, appelée happo shinden naygiri no gyo, « les 8 exercices divinement inspirés de l’entraînement de la puissance interne ». Ils abordent la façon de bouger et de créer un certain type de renforcement musculaire et un certain type de connexion des tissus, appropriés pour le TSYR. Ces exercices sont effectués en solo, et bien qu’ils soient très intéressants, je pense qu’ils ne deviennent pertinents que lorsque vous êtes un peu plus avancé.
Y a-t-il des liens entre le naygiri no gyo et le qi gong ?
Je ne connais pas suffisamment les arts martiaux chinois pour pouvoir le dire.
Le naygiri no gyo vient de l’Akiyama Yōshin-ryū, et il est probable que son fondateur, Akiyama Shirobei, les ait appris grâce à des relations en Chine. Il a vécu et établi cet art dans la région de Nagasaki dans les années 1700, et Nagasaki était déjà à cette époque l’un des principaux ports commerciaux du Japon. Les allées et venues de navires et de personnes entre Nagasaki et la Chine continentale étaient un phénomène quotidien.
Akiyama a appris les arts martiaux et la médecine chinoise grâce à ses relations, mais je ne connais aucun document qui puisse indiquer exactement quels arts il a étudié ou avec qui.
Existe-t-il d’autres exercices d’entraînement solitaire ?
Notre principal entraînement en solo est le batto jutsu, le dégainage du sabre. Au niveau débutant, je conseillerais aux gens de se concentrer beaucoup plus sur le batto jutsu que sur le naygiri no gyo. Mais ne vous méprenez pas, le naygiri no gyo est une compétence très importante et un entraînement très intéressant. Mais je pense que du niveau débutant à intermédiaire, le travail au sabre est beaucoup plus pertinent. Le contrôle du kissaki, le maintien d’un hasuji correct (aligner la direction de coupe avec le sabre) est au début plus précieux que le naygiri no gyo.
Utilisez-vous également le naygiri no gyo pour faire des poussées de mains ?
L’idée même d’être poussé sans se laisser déséquilibrer est géniale, mais il faut la replacer dans son contexte pour réellement accomplir quelque chose. Parce que si vous êtes juste assis là et que, super, vous ne bougez pas, c’est un peu un tour de passe-passe. Vous pouvez faire quelque chose de très amusant, mais vous n’avez pas la capacité de le transférer réellement vers l’applicabilité. Il existe des exercices de base dans le TSYR pour développer ces compétences, mais tout cela est également intégré dans le kata, il faut juste savoir où le chercher. Développer les compétences de naygiri et ensuite être capable de les utiliser dans le combat libre est le but.
Comme le bras impliable en aikidō ?
C’est la même idée. Cela ne devient bon que lorsque vous êtes capable de mettre cette compétence dans un kata particulier, un waza ou dans le shiai.
Quelle importance accordez-vous aux mouvements de l’omoplate ?
Nous nous concentrons beaucoup sur cette capacité à déplacer l’omoplate d’avant en arrière dans le naygiri no gyo. Nous faisons également du mouvement extérieur-intérieur, en déplaçant la tête de l’humérus en cercle.
Nous l’utilisons pour certains de nos kaeshi waza (retournement technique). Parce que lorsque le corps est verrouillé, la tête de chaque os se trouve parfaitement alignée. Ainsi, lorsque vous avez la possibilité de légèrement désaligner cela, vous pouvez créer de l’espace pour créer des contres. Le naygiri no gyo se concentre beaucoup sur ce type de mouvement, mais pas exclusivement. Ces exercices se concentrent également sur le développement d’un bon équilibre et de jambes solides. Le tout premier kata de la série s’appelle tekyaku. Cela se traduit littéralement par jambes de fer. Il s’agit essentiellement d’un squat, et sur le haut de votre corps il y a un tas de choses qui se passent avec les omoplates et les coudes. Mais sur le bas de votre corps, vous faites juste un squat très lent.
Comment le TSYR a-t-il changé votre façon de pratiquer le Wadō-ryū ?
J’ai pratiqué le Wadō probablement 17 ans avant le TSYR, donc après avoir commencé le TSYR, j’ai pu voir à quel point le riai est commun aux deux écoles, même s’il se manifeste de différentes manières.
J’ai découvert qu’il y avait des manques dans ma connaissance de la théorie du Wadō. Il y a énormément d’éléments communs, mais aussi des lacunes et des discordances entre le TSYR et le Wadō-ryū. Ce qui est parfaitement normal étant donné qu’il s’agit de deux écoles différentes. Le Wadō-ryū a reçu une grande influence du Shindō Yōshin-ryū, mais aussi des écoles de karate d’Okinawa et d’autres comme l’Ogasawara-ryū.
Quand j’ai commencé le TSYR, tout avait une progression logique. Tout avait une explication. Tout était A+B=C. C’était donc différent de mes débuts en Wadō où cette logique manquait un peu, peut-être parce que l’information était diluée avec des milliers de personnes qui le pratiquaient dans le monde entier et autant d’instructeurs. Il est souvent difficile d’avoir accès à de bons instructeurs compétents dans n’importe quel art, et le Wadō ne fait pas exception.
Je pense qu’il y a des points communs évidents entre le Wadō et le TSYR, et ma formation en Wadō-ryū m’a beaucoup aidé dans mes débuts en TSYR. Cela étant dit, chaque art a sa propre identité. Si vous voulez être bon en Wadō-ryū, investissez du temps dans le Wadō-ryū. La pratique du TSYR peut vous fournir un certain contexte et des idées sur les raisons pour lesquelles certaines choses dans le Wadō sont si différentes des autres écoles de karate, mais en fin de compte, la formation au TSYR vous fera apprendre le TSYR, pas le Wadō-ryū.
Il semble que le Shintoïsme occupe une place importante dans la TSYR
Threadgill sensei dit que pour lui le shintō est la manière de transmettre la japonité. Ce n’est pas une question de croyances, mais une question de la façon dont vous interagissez avec certains éléments de votre environnement. Il s’agit aussi de la façon dont vous respectez certains rituels qui sont parfois pertinents pour la technique et vous donnent une meilleure idée de l’état d’esprit japonais.
Dans le TSYR, nous avons plusieurs éléments, tels que la récitation de norito qui font définitivement partie de l’école. Il y a le kigan, le haishi et le norito. Ce sont comme trois catégories différentes de « prières ».
Commencez-vous toujours le cours par le norito?
Oui. Qu’ils soient licenciés ou non, les gens devraient débuter le cours avec le norito. À un niveau plus élevé, nous apprenons d’autres norito. Et il y a plusieurs rituels autour de l’école. Il y a des rituels par exemple, pour nettoyer le sang du tatami, avec du sel et de l’eau. S’il y a du sang sur les murs, nous peignons dessus, et s’il y a du sang sur le plafond, nous le laissons là (!).
C’est toujours amusant de penser : « pourquoi quelqu’un a-t-il dû créer une règle pour le sang sur le plafond ? Combien de fois cela s’est-il produit ? » Il y a donc toutes ces choses liées au shintō qui imprègnent toute l’école. Nous ne les enseignons pas séparément mais parallèlement aux kata.
Threadgill sensei dit généralement que vous n’êtes pas obligé de croire au shintō, vous n’êtes pas obligé de faire quoi que ce soit tant que vous pouvez vous conformer aux rituels. Le shintō ne doit pas être en compétition avec une autre foi, mais il est important dans notre entraînement et complètement intégré au Shindō Yōshin-ryū.

Quels sont selon vous les atouts d’un koryū ?
La transmission n’a généralement pas été interrompue. Dans la majorité des cas, cela n’arrive pas vraiment dans les gendai budō (art martial moderne né après 1868). Je ne veux pas dire que les koryū sont meilleurs, mais nous avons une vision plus holistique des arts martiaux. Je suis sûr qu’il y a des gens dans le monde de l’aikidō qui ont la même vision ou la même capacité à avoir un système complet intégré, mais en général ils ne l’obtiennent pas uniquement de l’aikidō. Ils doivent combler ces lacunes avec certaines choses provenant d’autres sources, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Les arts martiaux modernes ont la liberté de faire ce genre de choses. Dans un koryū, nous sommes liés au kata. Et si des choses se perdent, il n’y a aucun moyen de les récupérer. Il n’y a rien pour combler les lacunes. Mais dans les gendai budō, il y a beaucoup plus de liberté pour que vous puissiez combler les lacunes à votre façon. Ce n’est pas une mauvaise chose. Cela permet aux arts d’évoluer et de s’adapter. Est-ce mieux ? Est-ce moins bon ? Qui sait. C’est différent pour sûr.
Mais l’approche d’un koryū est différente, il est crucial de transmettre la connaissance d’une génération à l’autre, sinon elle s’éteint, comme cela est arrivé à tant de koryū. Pire encore sont ceux qui existent encore, mais qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils ont été transmis formellement de génération en génération, mais ils ont perdu la connaissance au-delà de l’omote, devenant des coquilles vides qui ne font qu’imiter ce qu’ils étaient autrefois.
D’une certaine manière, on pourrait penser que vous avez tout : les principes et les applications.
Je comprends que vous puissiez percevoir cela comme une bonne chose, mais il y a un inconvénient à cela : nous devons maintenir un programme de 305 kata.
C’est beaucoup de travail et si cela n’est pas maintenu, l’école commence à s’effondrer. L’une des difficultés que nous ressentons est de savoir comment investir suffisamment de temps pour maintenir le kata et en même temps amener les gens à se libérer du kata et à développer des applications réelles et de la pratique libre. Les gens ont tendance à rester coincés dans le kata. Ils apprennent ce modèle et tout ce qui nécessite de sortir de ce modèle est un défi. Encore une fois, ce n’est pas un problème si votre objectif est simplement de maintenir l’héritage technique de l’école en vie et de le transmettre à une autre génération.
Mais si vous pensez utiliser l’école pour produire des combattants, des gens qui savent gérer les confrontations, alors vous devez examiner les choses un peu mieux parce que cela prend trop de temps. Et le fait que vous ayez besoin de maintenir tout cela rend la tâche énorme pour y parvenir. Alors que dans les écoles modernes, l’aikidō, le karate ou les sports de combat, dans un laps de temps assez court, les gens savent comment lancer des coups de poing, des coups de pied et ils acquièrent une capacité minimale à se battre.
Comment faites vous pour développer à la fois une compétence martiale et une forme technique propre ?
Nous avons eu la chance d’avoir plusieurs de nos instructeurs avancés avec une expérience préalable. Cette expérience a été transmise dans l’école. Dans la méthodologie TSYR, il y a un processus à suivre avant d’être exposé au combat ou à la violence. Bien que la compétition ne soit pas exactement de la violence, c’est l’une des choses qui s’en rapproche le plus. Cela prend du temps. Threadgill sensei dit qu’il est parfois plus facile d’enseigner à des gens qui savent se battre, même s’ils sont un peu bruts de décoffrage et qu’il doit passer des années à répéter: « relax, relax, relax ». Les gens sans cette connaissance préalable peuvent apprendre à faire le kata très correctement, mais il leur faudra plus de temps pour passer un certain niveau car il y a un élément de réalité qui peut manquer.
Si vous n’avez pas cet esprit combatif lorsque vous vous engagez dans un combat, mais que vous pensez que simplement parce que vous connaissez certaines techniques, vous aurez le dessus, vous allez au devant de sérieux ennuis.
Vous pratiquez avec votre frère Artur
Mon frère est mon partenaire d’entraînement depuis toujours. Cela fait plus de 30 ans que nous nous entraînons ensemble le samedi matin a minima.
Il est rare que les personnes qui s’entraînent aux niveaux les plus élevés de leur art aient la chance d’avoir un partenaire de niveau similaire sur lequel elles peuvent compter pour leur entraînement personnel. Soit elles ont des partenaires d’un niveau très différent, soit elles ont des partenaires de niveau similaire qui vivent loin.
Nous avons commencé le karate ensemble. Nous avons fait des compétitions ensemble, nous avons fait partie des équipes nationales ensemble et nous avons souvent combattu l’un contre l’autre.
C’est très libérateur de savoir que je peux frapper quelqu’un aussi fort que je veux, le blesser même, sans que nous soyons en colère l’un contre l’autre ensuite. Cela permet d’amener les choses à un niveau extrême.
Avoir mon frère à mes côtés a facilité les choses. Comme nous avons étudié le même art, mais avec des perceptions différentes, notre collaboration a été fructueuse. Je pense que c’est probablement l’une des explications au fait que nous ayons obtenu nos licences de shōden environ un an après avoir pris le keppan (serment d’allégeance par le sang). En général, il faut entre trois et cinq ans pour obtenir une licence.
Quels liens établissez-vous entre le kenjutsu et le taijutsu ? Comment s’influencent-ils mutuellement ?
Ce sont les deux faces d’une même pièce. En tant qu’école de jūjutsu, environ 40 % du programme est consacré au kenjutsu, nous explorons les mêmes principes et la même mécanique corporelle, à la fois en kenjutsu et/ou en taijutsu. Ces deux facettes s’informent constamment l’une l’autre. Chacune a des aspects spécifiques, mais les principes moteurs qui caractérisent le Shindō Yōshin-ryū sont visibles dans les deux.

Que diriez-vous à quelqu’un qui voudrait rejoindre un koryū ?
Allez-y ! De nombreux koryū risquent de disparaître. Les nouveaux membres donnent à l’école une chance de survie et évitent la perte des connaissances contenues dans cet art. Toutefois, l’entraînement au sein d’un koryū ne conviendra pas à tout le monde, la structure et les connaissances remontent à au moins 150 ans et cela paraîtra stupide ou hors de propos pour beaucoup de gens. Beaucoup de ce qui se fait dans un koryū est anachronique et n’a pas sa place dans la société moderne, ce qui, pour revenir à ta question précédente, est probablement l’une des choses que le Wadō-ryū a essayé d’éviter à ses débuts.
Mais malgré toutes ces difficultés, rejoindre un koryū, le TSYR dans mon cas, a été une expérience formidable. Ce fut un voyage difficile, rempli d’obstacles, mais la route est également pavée d’expériences très enrichissantes et partagées avec des gens formidables.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Continuer à m’entraîner et être au service de mon école.
Mon dōjō à Santarém, au Portugal – le Shobukan – va continuer à être un lieu d’entraînement et d’enseignement du Shindō Yōshin-ryū. Je vais continuer très probablement à enseigner dans certains des autres dōjō basés en Europe ainsi qu’à gérer certains de nos groupes d’étude en Europe.
Je continuerai également à soutenir le hombu dōjō dans ses activités et ses efforts pour préserver le Shindō Yōshin-ryū, car c’est devenu le but principal de ma vie d’arts martiaux.
Merci beaucoup Marco Sensei