Le protocole de la guerre

Par Germain Chamot

Il semblerait que le salut militaire, une main au niveau de la tempe, ait pour origine le geste que les chevaliers faisaient pour relever la visière de leur heaume afin de se faire reconnaître. D’autres sources supposent que cela vient du fait que l’on se saluait de loin en élevant la main pour montrer qu’elle n’était pas armée. Dans le même ordre d’idée, la poignée de main est à l’origine une façon de signifer que la main droite n’est pas armée…

Ces différents gestes, que l’on effectue à des moments précis, ont une origine parfaitement pragmatique. Ils ont initialement été employés parce qu’ils sont nécessaires. C’est le cas de la plupart des gestes que l’on effectue pour respecter une étiquette, quelle que soit son origine géographique.

Donner du sens à tout prix

La tendance humaine à avoir besoin de donner du sens, peut aisément nous pousser à trouver une signification à des gestes avant tout pratiques. Ainsi, il m’apparaît douteux de donner un sens magique aux différents saluts que l’on pratique dans le cadre du Budo. S’incliner permet de se saluer sans se toucher et en gardant les mains disponibles. C’est aussi un moyen pratique de signifier clairement à chacun sa place, en s’inclinant plus ou moins selon l’importance de celui qui nous fait face. Cela a donc été un moyen d’expression de sa domination pour les seigneurs, au même titre que l’obligation de s’asseoir en Seïza.

Des vertus

Le salut tel que nous le pratiquons en Aïkido a néanmoins des vertus. Il permet notamment de prendre conscience de la distance : si l’on se salue trop prêt c’est le coup de tête assuré (ou la frappe au visage).

Saluer enseigne également comment utiliser son corps. Il s’agit de s’incliner sans se mettre en déséquilibre, de conserver le dos droit, de connaître l’amplitude de son geste, de faire le tout sans à-coups…

Sur le plan mental, saluer nous aide à passer de notre quotidien au temps de la pratique. Il est néanmoins probable que seuls les non-japonais, pour lesquels le salut n’est pas un élément du quotidien, bénéficient de cet outil de programmation mentale. En effet, on imagine mal qu’un japonais, pour lequel le salut est une composante culturelle omniprésente, change brutalement d’état d’esprit lorsqu’il se met à saluer son partenaire au dojo.

De la nécessité d’un cadre

Dans le cadre de l’entraînement, l’étiquette a avant tout été mise en place pour des raisons de sécurité. Se saluer est un moyen de vérifier que le partenaire est d’accord pour entreprendre une action qui pourrait le blesser.

Ce que l’on pratique au dojo est théoriquement dangereux. Il est donc nécessaire de mettre en place des protocoles afin d’éviter les accidents. Les personnes qui manipulent les armes à feu le savent très bien : on ne pointe pas l’arme dans n’importe quelle direction. On la sort et on la charge d’une certaine manière. Il en est de même lorsque l’on porte un sabre. Avant d’espérer détruire son ennemi il faut éviter de se blesser. Dès lors qu’il y a une arme, une étiquette est nécessaire.

L’étiquette et ouvertures

Un Sempaï, combattant aguerri dans diverses disciplines, travaillant pour les forces de l’ordre, m’a raconté une rencontre qui l’a marqué : « il respectait scrupuleusement l’étiquette, sa posture était impeccable : je n’ai pas trouvé une seule ouverture ».

Cet ami n’était pas particulièrement sensible au respect des us et coutumes. En revanche il percevait très bien les personnes dangereuses, celles qui pouvaient être armées et celles qui étaient perclues « d’ouvertures ».

L’étiquette, à l’image d’un kata, est un protocole qui doit nous amener, par la forme, à toucher au fond. En respectant l’étiquette on peut commettre l’erreur de penser que les détails constituent l’essentiel.

Les détails

Il est courant de dire que le diable se cache dans les détails. C’est parfaitement vrai en ce qui concerne le combat. Mais il ne faut pas oublier que les détails font la différence lorsque l’essentiel est déjà acquis. Ainsi, saluer en Seïza en posant la main droite en dernier et en la relevant en premier, afin qu’elle soit le plus longtemps disponible, est un détail. Détail qui fera la différence si par ailleurs le corps est dans un état permanent de vigilance. Détail inutile si l’on est avachi sur sa posture et absent à son environnement. Encore une fois le fond prime sur la forme, mais il s’exprime à travers cette dernière.

Il s’agit donc, non pas de répéter des détails, mais de connaître leur signification. Chaque geste a une raison d’être. Chaque geste répond à un problème. Il est plus important de connaître le problème auquel il est censé répondre, que de connaître le détail de la réponse. Lorsque l’on connaît le problème que l’on cherche à résoudre on sait comment orienter notre intention. Alors que lorsqu’on ne connaît que la réponse, on peut reproduire le geste comme une coquille vide.

Ainsi, plus que de connaître les détails des bonnes manières, détails qui varient d’un dojo à l’autre, le sens de l’étiquette est de se placer dans un état de vigilance permanent.

Cet article est initialement paru dans Self & Dragon Magazine #9

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